«Il est plus facile de duper les gens, écrivait Mark Twain, que de les convaincre qu’ils ont été dupés. » Jamais cette vérité n’aura été plus prégnante que dans la campagne présidentielle américaine. Donald J. Trump s’est occupé de duper les gens. Bonimenteur de cirque, il a fait le tour des États-Unis dans sa roulotte de la supercherie. Le costume du clown lui va comme un gant.

Tout le monde sait qu’il ment, mais c’est un menteur distrayant, bien habillé, à l’intelligence grossière et à l’embonpoint confortable – difficile de rester indifférent à son discours. Ne vous y trompez pas : il n’est pas bête, il connaît bien son public, il le rameute dans une arène d’applaudissements tonitruants. Et il dupe.

Kamala, quant à elle, a désespérément essayé de convaincre les gens qu’ils se font duper. Elle est une artiste de cirque aussi, mais plus proche de la funambule. Ce qui fascine, chez elle, c’est le fait qu’elle puisse tomber d’un moment à l’autre, alors que Trump est déjà tombé il y a longtemps.

Là-haut, sur son fil, elle n’a cessé de haranguer gravement ses soutiens, de les cajoler, de les convaincre en marchant à petits pas, afin qu’ils retiennent leur souffle et continuent de la regarder lentement avancer. Ses partisans l’apprécient, la comprennent, mais ils n’ont pas arrêté de tourner la tête pour entendre le tumulte vulgaire qui s’élève de l’autre côté du chapiteau.

Il suffit de voir comment nous détournons les yeux

Si l’on veut comprendre pourquoi l’Amérique n’a pas disqualifié Trump, il suffit de voir comment nous détournons les yeux de nous-mêmes pour essayer de savoir d’où vient le vacarme.

Des doutes se sont fait jour dans le camp de Kamala sur ce qu’elle fera et sur la manière dont elle le fera. Elle est restée bloquée au centre. Elle avait envie de bien faire. Pour ça, elle doit regarder dans plusieurs directions à la fois. Faire tenir dans ses mains des idées compliquées et contradictoires.

L’horreur au Moyen-Orient en est un parfait exemple. En refusant de prendre à bras-le-corps la tourmente actuelle, Kamala s’est risquée à perdre sa base. Devait-elle parler de génocide ? Devait-elle convoquer l’histoire de l’apartheid ? Ses plus jeunes électeurs souhaitaient qu’elle prenne position.

Cependant elle sait aussi qu’elle a un autre public, que la pièce a deux côtés, pile ou face, et qu’Israël est confronté à une menace existentielle. Elle sait que les Iraniens sont dans les coulisses. Et puis il y a les Saoudiens. Et puis il y a les Yéménites. Et puis il y a. Et puis il y a…

Trump est très doué pour nous faire croire qu’il maîtrise la situation

Le kaléidoscope n’a pas arrêté de bouger, au point que Harris elle-même avait le tournis. Trump, lui, est très doué pour nous faire croire qu’il maîtrise la situation. En vérité, il ne sait absolument pas quoi faire. Sa simplicité brutale correspond bien à l’étroitesse toxique de notre temps. Son intelligence, c’est son silence.

Le problème, pour Kamala, c’est que l’on vit désormais à l’ère de la certitude absolue. Chacun sait ce qu’il sait, et ce que les autres ressentent, pensent ou font ne nous intéresse pas beaucoup. Les limites sont fixées. Elles ne vont pas au-delà de ce qui se trouve entre nos deux oreilles. D’ailleurs, elles nous ont rendus sourds.

Il y a plus de cent cinquante ans, Walt Whitman écrivait : « Est-ce que je me contredis ? Très bien, alors je me contredis. Je suis vaste, je contiens des multitudes. »

Ce sont les confins qui attirent toute la lumière

Triste constat sur ce que nous sommes devenus : être contraints de penser que, en ce siècle qui est à la fois le plus humain et le moins humain, nous ne pouvons pas élire un dirigeant qui sache dire l’importance du doute. Cela revient à un manque élémentaire d’honnêteté. Une majorité d’entre nous évolue dans le centre obscur, et pourtant ce sont les confins qui attirent toute la lumière.

Cela vaut aussi pour le Parti démocrate : il se montre de plus en plus incapable de contenir toutes ses multitudes. En réalité, ceux qui paraissent pleins de certitudes sont presque toujours les mêmes qui finissent par s’écrouler. La certitude est trop rigide. Elle se brise au premier froid.

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Tel est, malheureusement, le bruit de notre époque.

Traduction : Clément Baude.
* Auteur de « American Mother » (Belfond), lauréat du National Book Award.